Les grandes féministes d’hier et d’aujourd’hui : Benoîte Groult (1920-2016) 2/20

Benoîte Groult est l’une de nos grandes intellectuelles féministes françaises. Elle s’est surtout fait connaître avec son essai Ainsi soit-elle et plus tard avec La touche étoile. Mais son oeuvre complète et sa vie valent tout autant le détour.

Benoîte Groult entourée à gauche de sa fille Blandine de Caunes et de sa petite-fille Violette.
Benoîte Groult entourée à gauche de sa fille Blandine de Caunes et de sa petite-fille Violette, photo Sophie Deschamps, couverture du livre La mère morte

Journaliste, romancière et féministe. Benoîte Groult fait incontestablement partie des femmes françaises qui ont marqué notre époque contemporaine. Une vie riche et bien remplie (elle est décédée à 96 ans ! ) marquée par son sens de la famille. Mais aussi le souci constant de l’émancipation de la femme, ici et ailleurs. En témoigne sa dénonciation de l’excision dans son livre Ainsi soit-elle (1975) véritable manifeste féministe devenu un classique.

Des années plus tard elle raconte la découverte des mutilations sexuelles au magazine Elle : « J’avais notamment lu un livre qui m’avait bouleversée, ‘Femmes d’Orient, pourquoi pleurez- vous?‘, sur les mutilations sexuelles. Je ne savais même pas que cela existait. Je me suis dit: ‘La haine pour les femmes va jusqu’à supprimer leur sexe.’ Le magazine Elle m’a envoyée à Djibouti pour voir comment accouchaient des femmes excisées. Sont arrivés une jeune fille de 15 ans et son vieux mari. Le médecin nous a prévenus que ça allait être terrible: il a dû lui ouvrir le sexe pour sortir le bébé. Puis le lui recoudre pour que son mari ne la répudie pas. »

Une adhésion tardive au féminisme

Pourtant, Benoîte Groult ne devient féministe que vers la quarantaine, dans les années 60. En revanche l’écriture et le goût des mots lui viennent dès l’enfance. Titulaire d’une licence de lettres, elle enseigne un peu avant de devenir journaliste. Tout d’abord, après la Libération au journal de la Radiodiffusion jusqu’en 1953. Puis dans plusieurs revues : Elle, Parents, Marie-Claire…avant de fonder en 1978 l’éphémère mensuel féministe F Magazine avec Claude-Servan Schreiber. En effet le magazine ne parvient pas à toucher les féministes qui le jugent « bourgeois ». Dès lors l’aventure s’arrête en 1982.

Une vie consacrée à l’écriture

Benoîte et Flora Groult en 1982. Des soeurs inséparables qui o,nt écrit trois livres ensemble.
Benoîte et Flora Groult en 1982, soeurs inséparables, capture d’écran

L’écriture, toujours elle, la pousse à devenir romancière. En 1958, elle écrit son premier livre Journal à quatre mains avec sa soeur Flora, véritable complice dans la vie comme dans le travail. Et qui plus est partage ses idées féministes. Deux autres romans communs suivront : Le Féminin pluriel (1965), Il était deux fois (1967).

En 1972, à 52 ans elle ose enfin se lancer seule avec La part des Choses, puis l’essai Ainsi soit-elle en 1975 qui reste à ce jour son livre majeur et totalement d’actualité. Autres grands succès Les Vaisseaux du coeur en 1988, son récit autobiographique Histoire d’une évasion en 1997 et surtout La Touche étoile en 2006 (elle a alors 86 ans ! ).

Son Journal d’ Irlande, Carnets de pêche et d’amour 1977-2003 sera publié en 2020 après sa mort. Sa fille Blandine de Caunes a mis le texte en forme et rajouté une préface. 

 

Benoîte Groult et son mari Paul Guimard entourant François Mitterrand en Irlande en 1988, couverture du livre Journal d’Irlande

Les quatre hommes de sa vie

Bien que jalouse de son indépendance et de sa liberté Benoîte Groult s’est mariée trois fois. La première fois en 1944 ( elle a 24 ans) avec Pierre Heuyer, étudiant en médecine. Malheureusement ce dernier meurt quelques mois plus tard de la tuberculose.

En 1946, elle épouse Georges de Caunes, avec lequel elle a deux filles, Blandine en 1946 puis Lison en 1949.

En 1952, elle se remarie avec le romancier et journaliste Paul Guimard, avec lequel elle a une fille, Constance (1953). Malgré des infidélités des deux côtés, elle partagera sa vie jusqu’à son décès en 2004.

Enfin dans son Journal d’Irlande, Benoîte Groult raconte sa passion torride pour Kurt. Un américain rencontré en 1945 puis retrouvé dans les années 60. Elle refusera toutefois de quitter son mari pour lui.

Une fin de vie marquée par la maladie d’Alzheimer

A 93 ans , Benoîte Groult est à son tour atteinte par la maladie d’Alzheimer, comme sa soeur Flora des années auparavant. Celle qui a milité au sein de l’ADMD, association pour la droit de mourir dans la dignité s’enfonce tout d’abord dans le déni, puis dans la maladie. Un naufrage poignant raconté avec beaucoup de dignité et même parfois avec humour par sa fille Blandine de Caunes dans son récit La mère morte (janvier 2020). Face à la chute rapide de l’état de santé physique et mental de sa mère, sa fille réagit. En accord avec le médecin de famille, une injection létale (et illégale) lui est administrée à Hyères le 20 juin 2016.

Sa terrible maladie lui aura toutefois épargné la douleur de la perte de sa petite-fille Violette. Celle-ci est en effet décédée tragiquement en avril 2016 dans un accident de voiture, laissant une petite fille de presque 9 ans.

À propos de la mort, Benoîte Groult avait écrit : « Tant que je saurai où demeurer, tant que je serai accueillie en arrivant par le sourire de mes jardins, tant que j’éprouverai si fort le goût de revenir et non celui de fuir ; tant que la terre n’aura perdu aucune de ses couleurs, ni la mer de sa chère amertume, ni les hommes de leur étrangeté, ni l’écriture et la lecture de leurs attraits ; tant que mes enfants me ramèneront aux racines de l’amour, la mort ne pourra que se taire. Moi vivante, elle ne parviendra pas à m’atteindre.« 

Claire Boutin